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JH recherche lecture gratuite avec un peu de publicité

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Le titre de ce billet est d'emblée trompeur. Proposer de la lecture gratuite avec, allez, un peu de pub, est bien entendu une blague. Il y a toujours quelque part, quelqu'un, qui paie pour que le service existe. Aujourd'hui, la publicité apparait comme le modèle dominant et magique pour les applications et services gratuits en ligne, ainsi des milliers de jeux dans la veine d'Angry Birds, pour la presse numérique (qui oblige même parfois à devoir subir une page de publicité !) ou bien sûr de Twitter ou de FaceBook. Je connais même un site qui propose de publier des communiqués de presse gratuitement avec publicité ou les mêmes communiqués sans publicité payants !

Les vidéos en ligne, les bandes annonces de films mais aussi les reprises de reportages sont de plus en plus minées par des publicités avant-programme qu'on interrompt assez vite (enfin, moi, je les interromps). Les marques s'insinuent partout, tout le temps, cherchent tous les espaces et les biais pour croiser notre regard, capter notre intérêt, nous encourager à consommer encore et toujours. Qu'on ne se trompe pas, cela n'est pas un modèle nouveau : presse écrite, radio, télévision, tous les médias sont transfusés par l'argent de la publicité - les séries américaines  sont écrites et découpées pour que les écrans publicitaires s'intègrent "harmonieusement" dans le déroulé des intrigues. Pour échapper à la publicité, un seul recours : payer le service soit-même, et ce n'est pas encore suffisant si on considère la redevance audiovisuelle, ou récupérer des versions recomposées, nettoyées de leur publicité, sur des réseaux alternatifs. Le développement de l'édition numérique amène des acteurs à penser la place de la publicité dans leur offre et un cas récent m'a singulièrement interpellé :

Le site Youboox précise dans un récent communiqué : "Youboox finance son service en présentant des bannières au-dessus des pages numériques sans gêner la lecture en cours. Ces revenus publicitaires permettent ainsi de rémunérer les éditeurs et les auteurs tout en offrant un accès légal de lecture gratuite pour le consommateur." Voilà un singulier exercice d'équilibriste : l'insert de bannières publicitaires qui ne gênent pas la lecture, cela signifie soit qu'elles sont ignorées et donc rendues caduques, soit qu'elles sont lues et leur qualification est laissée au lecteur : bienvenue, intrusive, futile, agressive... Qui veut-on rassurer par cette présentation? Dans tous les cas, la publicité est imposée. L'explication du concept laisse tout autant perplexe : comme on peut le lire sur cette page, ce sont les chiffres qui sont mis en avant et sont sensés impressionner et démontrer la pertinence du service aux éditeurs et annonceurs. Ne soyons pas injuste pour autant, ni aveugle : la qualité des contenus et leur intérêt comptent aussi. Ce sont après tout les œuvres qui attirent les lecteurs et savoir que des gens lisent devrait nous réjouir. Et pourtant...

Ce qui m'amène à reposer cette question à laquelle plusieurs lois ont tenté d'apporter un début de réponse, celle de Jack Lang sur le prix unique en premier lieu : si on considère que le livre n'est pas un produit comme les autres, pourquoi vouloir forcément le corrompre, l'entacher avec des pixels dynamiques et sponsorisés, pourquoi le traiter comme un vulgaire support de promotion ? Pourquoi chercher nécessairement à vouloir pénétrer le moment de la lecture et pourquoi le justifier par la gratuité ? Chez Youboox, le modèle économique est facile à décortiquer : la société se paie sur chaque publicité, elle mise sur le volume de lecture et elle mise également sur la richesse des données et des enseignements qu'elle retirera en espionnant (comme tous les autres bien sûr, au premier rang FaceBook dont la réalité économique n'est pas pourtant rose en ce domaine) ses lecteurs. Ne soyons pas naïfs : chaque internaute est devenu aujourd'hui un cobaye dont les actions sont scrutées au microscope informatique et dont les éléments qu'il consent à fournir sur lui-même alimentent le grand modèle de l'Homo Consommatus contemporain. Le billet du 3 octobre du blog la Feuille apporte à ce sujet d'intéressants prolongements.

A tort ou à raison je crois que ce n'est pas rendre service au lecteur que lui proposer des livres "gratuits" : ce que lui impose la publicité ne vaut pas à mes yeux ce qu'il y "gagne". Vouloir combattre le péril du piratage de livres, sur lequel un précédent billet reste valable, avec une offre dite légale, c'est-à-dire qu'elle a reçu l'assentiment des auteurs et des éditeurs qui sont rémunérés (tout comme Youboox) par la publicité, semble une idée louable, elle pose cependant un problème fondamental et modifie des relations :

- problème : en déchargeant le lecteur de l'acte d'achat, elle transfert  la responsabilité économique de la diffusion numérique sur des acteurs dont les intentions sont les mêmes que les annonceurs à la télévision : insérer leurs produits et services dans des programmes de flux, avec la tentation de vouloir influer sur leur contenu ou leur choix et soutenir des œuvres consensuelles, si ce n'est favorables. La récente sanction publicitaire de LVMH sur Libération après les Unes polémiques sur Bernard Arnault illustre toute la difficulté à trouver une juste distance entre éditorial et publicité. En déchargeant le lecteur de l'acte d'achat, on le maintient dans l'illusion que décidément tous les contenus doivent être gratuits et il me semble beaucoup plus difficile de devoir acheter une pomme au marché quand jusqu'alors je me servais sur le pommier ou ramassais les pommes à terre.

- Ajouter la publicité revient à ajouter un intermédiaire dans la relation commerciale entre le l'acheteur et l'éditeur, ce qui est paradoxal quand on sait que le numérique est le plus souvent pensé (à tort) comme un espace idéal pour réduire l’inter médiation. Jusqu'à présent, l'édition d’œuvres de fiction se passe très bien de la publicité, sauf à considérer que citer plusieurs fois une marque de champagne dans un roman d'espionnage relève du placement de produits (ce qui peut être le cas, pas de naïveté). Dès lors, pour utiliser une image de conte, pourquoi s'embêter à laisser entrer le loup dans la bergerie ? On pouvait considérer l'édition comme un espace relativement préservé.

Ce billet peut laisser croire que la publicité c'est MAL et que le problème c'est sa présence parasitaire dans tous les champs médiatiques et sa farouche volonté de contrôle de son message suivant des méthodes où les tableaux et les chiffres remplacent les individus. Pourtant, au risque de vous surprendre, je ne suis pas fondamentalement défavorable à la publicité car elle permet de rendre compte à un instant T d'une vision de la société, enjolivée, oui, biaisée évidemment, mais porteuse de sens et révélatrice de nombre de nos joyeux travers, de nos obsessions (la jeunesse, la pureté de la peau, l'hygiène, le rejet de l'altération et l'occultation de la mort, la représentation du noyau familial...) et, en soit, de nos limites.

Et là d'exprimer un rêve à haute voix : si des auteurs trouvaient amusant de s'emparer de la publicité d'annonceurs qui s'ajoute à leurs manuscrits numériques gratuits, s'ils étaient rémunérés avec la liberté de choisir l'annonceur et d'apporter sa caution et son talent et si les annonceurs n'étaient à ce point effrayés de laisser des auteurs faire preuve de créativité dans leur bénéfice mutuel, je crois que nous ferions un pas immense. Je sais, c'est à des noces corrompues que j'appelle, à un mariage contre-nature que j'invite, et pourtant, quitte à vouloir remettre en question les modèles d'accès à la culture, pourquoi ne pas bouleverser aussi les modèles d'accès à la publicité ? Ce qui vaut pour l'un ne vaudrait pas pour l'autre ?

Avec l'espoir que cela vous amuse, vous révolte, vous interpelle et vous donne envie de commenter.

Sébastien Naeco


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